Conseil d’État
N° 328282
Inédit au recueil Lebon
7ème et 2ème sous-sections réunies
M. Arrighi de Casanova, président
M. Nicolas Polge, rapporteur
M. Dacosta Bertrand, commissaire du gouvernement
Lecture du mercredi 17 mars 2010
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 26 mai 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par l’ASSOCIATION NATIONALE DES CHEMINOTS ANCIENS COMBATTANTS, RESISTANTS, PRISONNIERS ET VICTIMES DE GUERRE, dont le siège est 9 rue du Château-Landon à Paris (75010), représentée par son président ; l’association demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision du secrétaire d’Etat à la défense et aux anciens combattants du 24 avril 2009 rejetant sa demande tendant à l’adoption des dispositions réglementaires permettant l’attribution du bénéfice de la campagne double aux titulaires de pensions civiles et militaires de l’Etat ayant participé à la guerre d’Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc et accompli à ce titre des services militaires en opérations de guerre, ainsi que la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique sur sa demande tendant aux mêmes fins ;
2°) d’enjoindre conjointement au ministre de la défense et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique d’adopter de telles décisions, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de sa décision ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 7 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu la loi n° 99-882 du 18 octobre 1999 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Nicolas Polge, Maître des Requêtes,
- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite : Aux services effectifs s’ajoutent, dans les conditions déterminées par un décret en Conseil d’Etat, les bonifications ci-après : /(...) c) bénéfices de campagne, notamment en temps de guerre et pour services à la mer et outre-mer ; qu’aux termes de l’article R. 14 du même code : Les bénéfices de campagne prévus à l’article L. 12, c, attribués en sus de la durée effective des services militaires sont décomptés selon les règles ci-après : / A. - Double en sus de la durée effective pour le service accompli en opérations de guerre : / 1° Soit dans les opérations des armées françaises et des armées alliées ; / 2° Soit à bord des bâtiments de guerre de l’Etat, des bâtiments de commerce au compte de l’Etat ou des mêmes bâtiments des puissances alliées (...) / C. - Totalité en sus ou moitié en sus de la durée effective, selon le degré d’insalubrité ou les conditions d’insécurité du territoire envisagé déterminés aux articles R. 15 à R. 17, le service accompli, soit à terre, soit à bord des bâtiments de l’Etat ou des bâtiments de commerce au compte de l’Etat : / 1° En Algérie, dans les territoires et pays d’outre-mer, Maroc et Tunisie, pour les militaires envoyés de la métropole, d’Algérie, d’un autre territoire ou pays d’outre-mer, Maroc et Tunisie (...) ; qu’aux termes de l’article R.19 de ce code : La nature et la durée des bénéfices de campagne attribués en conformité des dispositions du présent chapitre sont fixées par voie de décisions du ministre intéressé et du ministre des finances qui déterminent également les conditions de cumul de plusieurs bénéfices de campagne acquis au titre d’une même période (...) ; que la loi du 18 octobre 1999 a substitué aux mots : aux opérations effectuées en Afrique du Nord les mots : à la guerre d’Algérie et aux combats de Tunisie et du Maroc aux articles L. 1er bis, L. 243, L. 253 bis et L. 401 bis du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre, ainsi qu’à l’article L. 321-9 du code de la mutualité ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la défense :
Considérant que l’ASSOCIATION NATIONALE DES CHEMINOTS ANCIENS COMBATTANTS, RESISTANTS, PRISONNIERS ET VICTIMES DE GUERRE a, par lettre du 18 février 2009, saisi le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique et le ministre de la défense d’une demande tendant à ce que soient prises les dispositions réglementaires permettant d’attribuer le bénéfice de la campagne double , prévue par les dispositions citées ci-dessus du code des pensions civiles et militaires de retraite, aux titulaires de pensions civiles et militaires de l’Etat ayant participé à la guerre d’Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc et accompli à ce titre des services militaires en opérations de guerre ; que, si le secrétaire d’Etat à la défense et aux anciens combattants lui a fait savoir, par une lettre du 24 avril 2009 ne comportant aucune décision, avoir relancé la concertation interministérielle sur ce sujet, la requête de l’association, dirigée d’une part contre la décision implicite de rejet qui est résultée du silence gardé pendant plus de deux mois par le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, doit également être regardée comme dirigée d’autre part, non contre la lettre du 24 avril 2009, mais contre la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de la défense sur cette demande ; qu’il suit de là que la fin de non-recevoir tirée par ce dernier de ce que les conclusions de la requérante seraient dirigées contre une lettre n’ayant pas le caractère d’une décision susceptible de recours ne peut être accueillie ;
Sur la légalité des décisions attaquées :
Considérant que lorsque, sans pour autant rendre par elles-mêmes inapplicables des dispositions réglementaires incompatibles avec elle, une loi crée une situation juridique nouvelle, il appartient à l’autorité investie du pouvoir réglementaire, afin d’assurer la pleine application de la loi, de tirer toutes les conséquences de cette situation nouvelle en apportant, dans un délai raisonnable, les modifications à la réglementation applicable qui sont rendues nécessaires par les exigences inhérentes à la hiérarchie des normes et, en particulier, aux principes généraux du droit tels que le principe d’égalité ;
Considérant que si la loi du 18 octobre 1999 n’a pas modifié le code des pensions civiles et militaires de retraite, il appartient au pouvoir réglementaire de mettre à jour l’ensemble des textes qui ouvrent des droits, créent des avantages ou fixent une règle en se fondant sur les services militaires accomplis au cours des périodes qualifiées par la loi de guerre d’Algérie ou de combats de Tunisie et du Maroc ; qu’en particulier, il revient aux ministre chargés de la défense et du budget de prendre, en application de l’article R. 19 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les dispositions réglementaires permettant l’attribution du bénéfice de la campagne double aux titulaires de pensions civiles et militaires de l’Etat ayant participé à la guerre d’Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc et accompli à ce titre des services militaires en opérations de guerre, en fonction de la nature et de la durée de ces services ; que par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, l’association requérante est fondée à demander l’annulation des décisions implicites par lesquelles ces ministres ont rejeté la demande qu’elle leur avait présentée en ce sens ;
Sur les conclusions à fin d’injonction :
Considérant que la présente décision d’annulation implique nécessairement que les ministres compétents prennent, en application de l’article R 19 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les dispositions réglementaires définies ci-dessus ; qu’il y a lieu de leur enjoindre de prendre ces mesures dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la présente décision ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de prononcer contre l’Etat, à défaut pour lui de justifier de l’exécution de la présente décision dans ce délai, une astreinte de 500 euros par jour jusqu’à la date à laquelle elle aura reçu exécution ;
Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur ce fondement par l’ASSOCIATION NATIONALE DES CHEMINOTS ANCIENS COMBATTANTS, RESISTANTS, PRISONNIERS ET VICTIMES DE GUERRE ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les décisions implicites du ministre de la défense et du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique rejetant la demande de l’ASSOCIATION NATIONALE DES CHEMINOTS ANCIENS COMBATTANTS, RESISTANTS, PRISONNIERS ET VICTIMES DE GUERRE sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de la défense et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat de prendre, en application de l’article R. 19 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les dispositions réglementaires permettant l’attribution du bénéfice de la campagne double aux titulaires de pensions civiles et militaires de l’Etat ayant participé à la guerre d’Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc et accompli à ce titre des services militaires en opérations de guerre, en fonction de la nature et de la durée de ces services, dans le délai de quatre mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : Une astreinte de 500 euros par jour est prononcée à l’encontre de l’Etat, s’il n’est pas justifié de l’exécution de la présente décision dans le délai mentionné à l’article 2 ci-dessus. Le ministre de la défense et le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat communiqueront au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l’ASSOCIATION NATIONALE DES CHEMINOTS ANCIENS COMBATTANTS, RESISTANTS, PRISONNIERS ET VICTIMES DE GUERRE, au ministre de la défense et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat.
Copie pour information en sera adressée au Premier ministre.